Mardi 22 Avril 1856 St. Jacques
Mon cher père et ma chère mère,
A vous d’abord j’écris, ensuite à louis, à Pauline et à ma grand’mère et à tous les parents qui ne m’ont point oublié et m’ont conservé une petite place dans leur coeur. Je vous dis ceci, parce que je pense que cette lettre sera lue en famille et dans la vieille maison paternelle.
A tous ceux qui ont étee bons pour moi, j’ai gardé mon amitié.
A tous ceux qui ont cru devoir blâmer ma conduite politique, j’ai gardé l’indifférence.
A tous ceux qu’une hostilité mal entendue a fait mes ennemis, j’ai gardé le pardon, puis l’oubli.
De loin, partout, dans la misère comme dans la prospérité, j’ai toujours pensé à ma famille, à ma patrie. Je n’ai souvent dû vivre que parce que j’avais le vague espoir de me retrouver un jour au milieu des miens, serrant la main d’un père, d’une mère, d’une soeur, d’un frère et d’un ami.
Pour jouir de ce bonheur, j’aurais attendu longtemps, espéré longtemps, prié longtemps ; mais je n’ aurais jamais voulu rentrer en France au prix d’une faiblesse ; et tel j’étais en quittant la France, tel je suis maintenant, tel je serai toujours, tel je mourrai.
Mon exil était donc subordonné à des évènements peut être lointains, peut être impossibles. Mon exil était amer parce que j’étais seul, sans amitié, sans cnsolation et sans famille.
Alors j’ai trouvé une jeune fille, bonne et simple, d’une famille honorable pareille à la nôtre, estimée de tous. Je l’ai aimée, je l’ai épousée, pensant que mon travail pourrait nous assurer une existence médiocre et douxe.
Je suis donc marié depuis un mois. J’ai fait comme Louis et je n’ai pas à m’en repentir.
Ma gemme m’aime et nous vivons en paix.
Ne croyez pas au moins que ma nouvelle famille me fera oublier l’ancienne.
Non, je me sens assez de force et de jeunesse dans le coeur pour aimer les deux et pour pouvoir, autant qu’il sera possible, les réunir un jour en une seule.
C’est vous dire que je n’ai point perdu l’espoir de retourner en France, d’y vivre et d’y mourir.
Un mois avant mon mariage, j’ai écrit à mon vieux papa, lui annonçant la détermination que j’avais prise. Cette lettre, comme bien d’autres, a été sans doute perdue, puisque je n’ai point reçu de reeponse et que mon frère m’écrit une lettre dâté de Nanteuil dans laquelle il se plaint de mon silence.
J’ai aussi écrit à mon oncle Baptiste Clément que j’aime beaucoup ainsi que ma tante, malgré l’espèce de froideur qui règne entre nous depuis ce qu’il appelle sans doute mes folies politiques. Ne m’oubliez pas auprès de lui.
J’ai également écri à monsieur Cambellan et à sa famille. Cette famille m’aimait trop pour m’avoir oublié …
Comment est ma vieille tante ?
Mme Rossignol peste-t-elle toujours contre moi ? Les petits enfants de M. Chambellan doivent être grands. Mathilde touche-t-elle bien du piano ? Mes amitiés et mes respects de ce côté.
Je pense aussi à la famille de l’oncle Louis. L’oncle Louis est un brave coeur et ses enfants tiennent de lui. Je parie qu’ils ne m’ont point oublié. Ne m’oubliez pas auprès d’eux.
J’ai aussi des amis là bas. Vous les connaissez. L’adversité les tire au clair. Serrez leur cordialement la main et buvez quelquefois un verre à ma santé, un verre de ce vin blanc d’Arbois, si bon, si sec, si réjouissant. Je fais des voeux pour eux.
La part de la famille est de l’amitié faite, laissez-moi vous parler de mes espérances, de moi et de ma femme.
Quand rentrerai-je en France ? Avec la liberté, une petite fourtune et la permission de ma nouvelle famille. Ainsi, je ne puis vous préciser ce moment. Malgré tout, quelque chose me dit que nous ne sommes point séparés pour toujours.
Quant à ma position, qui en France serait une fortune, elle n’est ici à la campagne, qu’une simple aisance. Je m’en contente. La fortune ne fait pas le bonheur. Je suis toujours professeur dans le même collège, tantôt enseignant le français, le latin, le grec, l’espagnol etc … quelquefois le tout ensemble.
Je demeure à côté du Collège, chez ma belle mère dont la famille se compose : 1• – de ma belle mère, excellente femme aimé et estimée de tous, pleine d’attentions et de bontés pour moi. 2• – de ma femme, Oscalie VAVASSEUR, créole, d’origine française, agée de 16 ans, un peu folle, mais bonne par le coeur et pls active que ne le sont d’ordinaire les Louisianaises, vous aimant comme si elle vous connaissait et me parlant souvent de vous. 3• – de mes deux belles soeurs Octavie et Athénaï, élevées à la même école de bonté et d’amitié. 4• – de mon beau frère Sosthène Thériot et de sa famille, tous vivant ensemble, ayant les mêmes plaisirs, le même toit, la même existance en un mot.
Vous me connaissez assez pour savoir que je n’ai point recherché la fortune et la richesse et que je n’ai point étee demander le bonheur domestique et la tranquillité à des gens du monde, amoureux du bal, du bruit, des fêtes, des présentations de salons.
Fils de la campagne, j’ai étee chercher le repos à la campagne, loin de tout ce qui pouvait sentir le marquis, le comte et le mensonge.
Soyez sans inquiétude, je suis toujours démocrate !
Mon cher père, dans la dernière lettre que j’ai reçue de mon frère, j’appris que vous aviez acheté la propriétéde Mr. BOY. Vous pouvez vivre en paix dans le calme, pourquoi chercher à arrondir votre petit champ ? Reposez-vous donc près de mon frère qui est grand maintenant, rangé et bon pour vous, je pense, près de ma petite Pauline qui aura mille soins pour vous et pour ma mère, en attendant que votre 3ème fils, l’enfant prodigue d’autrefois, vienne vous retrouver avec sa femme et sa famille et s’asseoir à votre table. Reposez-vous, si c’est possible à votre nature laborieuse.
Je vous embrasse tous mille fois ainsi que ma femme.
Jean GENTIL
P.S. Que ma petite folle de Pauline embrasse pour moi papa, maman et grand’maman. Que Louis embrasse pour moi Clémence et qu’il boive un verre de vin blanc à ma santé avec le cousin Chambellan, l’oncle Louis, le cousin Louis, les amis etc … Que mon père aille présenter mes amitiés et mes respects à ma tante Barbot, à ma cousine Rossignol, à la famille Chambellan à la famille Alliot et
Adieu, je vous embrasse tous.
J. Gentil
Vous pouvez toujours adresser vos lettres ainsi :
M. J. Gentil aux soins de Mr. DUHAMEL
Opticien
Rue de Chartres No 46
NOUVELLE ORLEANS
Jolene says
Quelle beau dscours…est-il jamais retourne en France?
Christophe Landry says
Non.
Son histoire est très intéressante.
Il a été exilé en Louisiane parce qu’il a été impliqué dans la politique de Napoléon.
Il était impliqué avec les franc-maçons et a ouvert une école à la Nouvelle-Orléans avec un partenaire.
L’école a été grouillée au Couvent à Saint-Jacques, mais en 1831, les directeurs du Collège Jefferson l’ont achetée pour ouvrir un campus de leur collège au Couvent (la bâtisse y est encore).
Il a enseigné les langues et l’histoire au Collège.
Quand ça a fermé juste avant la guerre de sécession, il s’a lancé dans l’imprimerie et la publication.
Sa femme, Athénaïse Marie Vavasseur, était la nièce de mon arrière grand-père, Charles Jefferson Vavasseur. La sœur à Athénaïse a marié un neveu à Alexandre Mouton, et la tante de ces deux là, Célestine Vavasseur a marié un frère d’Alexandre, Jean-Sosthène Mouton.
Voilà.